Mes savons ont une âme

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Certains ont leur Madeleine de Proust, moi j’ai mes savons du souvenir et j’y tiens.
A chaque fois que j’utilise les toilettes dites « publiques » de notre maison, la Casa Madre, (comprenez celles du rez-de-chaussée à usage des invités), ils sont là, sous mes yeux et je ne peux m’empêcher de me demander si leur fabriquant est toujours en vie, s’il a fermé ou dû abandonner derrière lui des milliers de ces petits cubes odorants, s’il a encore du stock ou s’il pourra assurer sa production annuelle qui devrait démarrer en cette période et durer deux mois avant le traditionnel séchage qui prend presque une année.
Bref, à chaque fois que j’utilise mes lavabos, j’admire mes savons d’Alep et leurs jolies formes et c’est la GUERRE en Syrie qui me saute au visage.
Avant, le savon d’Alep, cela m’évoquait seulement l’antiquité, l’origine du savon dur, l’Orient, le Hammam, les mille et une nuits, l’huile d’olive et de baies de laurier et cette texture un peu grasse qui fait sa renommée internationale de par ses qualités hydratantes et apaisantes. Mais ça, c’était avant.
A présent, ce savon m’évoque aussi les violents combats entre les rebelles de l’Armée Syrienne Libre (ASL) et les forces gouvernementales qui ont lieu à Alep depuis plus de quatre mois, la peur, les planques, le sang, les pilonnages, le rationnement, les voies d’exportation désormais totalement coupées vers le nord (kurde) de l’Irak et vers la France, tout comme les échanges financiers que notre pays a désormais totalement interdit depuis janvier au nom du droit à la démocratie pour les syriens.
Et ces petites entreprises où l’on se transmet l’art de la saponification de père en fils ? Celles-là mêmes où l’on découpe encore manuellement ces petits cubes qui atteriront dans nos parapharmacies puis dans nos salles de bains et qui ont séché dans des tours à l’abri du soleil, survivront t-elles à tout cela ?
Beaucoup ont fermé mais d’autres se battent pour faire face aux effets pervers de la guerre (augmentation vertigineuse du coût de la matière première, manque de main d’œuvre, difficulté à trouver des emballages de qualité). Malgré tout, le savon d’Alep a toujours existé et certains importateurs français, persuadés que ce produit ancestral survivra à la guerre n’abandonnent pas ces producteurs de concentré de vraies valeurs et utilisent le système D pour continuer leurs échanges commerciaux. Oui mais, pour combien de temps ?
La semaine dernière je me baladais dans une grande enseigne de décoration et je me suis arrêtée net au rayon salle de bain/cosmétiques : tous leurs savons d’Alep étaient bradés à -80%. J’ai acheté le peu qu’il restait en rayon. A la caisse, j’ai demandé à la caissière ce qu’Alep évoquait pour elle. Elle a haussé les épaules et m’a répondu : « ben, du savon ».
Alors, on s’en lave les mains ou pas ?

Pour découvrir la fabrication du savon d’Alep vous pouvez visionner la vidéo suivante :
Merci Saryane !