Pleyel plaque ses derniers accords.

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C’est fini, une entreprise française se meurt, une de plus me direz-vous.

La fin de quelque chose c’est comme le départ de quelqu’un, on le regrette… plus ou moins.

Je vais regretter Pleyel.

Si vous n’avez pas encore eu le bonheur de découvrir la musique classique, peut-être avez-vous hérité d’un de ces vieux pianos, sur lequel votre enfant s’exerce maladroitement aujourd’hui ? Si c’est un Pleyel, gardez-le bien, il fait partie du patrimoine français et dans quelques temps, les collectionneurs se l’arracheront.

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Au réveil ce matin, j’ai entendu l’extrait d’un communiqué de la Confédération Française des Métiers d’Art (CFMA) annonçant que « Dans une indifférence quasi générale, les prestigieux ateliers Pleyel ont annoncé l’arrêt de l’activité du site de St Denis ». L’un des fleurons de l’industrie musicale française fondé il y a un peu plus de 200 ans par le compositeur Ignace Pleyel (1757-1831) a donc été tué par le manque de rentabilité et par une concurrence asiatique, notamment chinoise et coréenne, devenue impossible à contrer. Pleyel a confirmé la fermeture avant la fin de l’année de ses ateliers qui ne produisaient plus qu’une vingtaine de pianos de prestige par an après avoir déjà fermé en 2007 son site d’Alès qui fabriquait alors annuellement encore 1700 pianos.

Pleyel, c’est le plus ancien fabricant de pianos encore en activité dans le monde.

Un nom français qui a résisté jusqu’alors et qui existe notamment grâce à sa première particularité justement si appréciée : sa sonorité. Liszt, Debussy ou encore Saint-Saëns y ont joué leurs plus belles partitions mais le piano Pleyel sera pour toujours associé au nom de Frédéric Chopin, « artiste Pleyel » comme Liszt le fut chez Erard et qui lui permit d’atteindre une alchimie sonore entre son piano et son univers qui évolua sans cesse vers une sophistication poussée à l’extrême de la musique.

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Ce sont les pianos Pleyel et leurs palettes de sonorités que l’on dit extrêmement romantiques et leur toucher si particulier qui permirent donc à Chopin de composer directement au piano (et non à la table) ses plus belles œuvres et ce, avec un degré de couleurs, de nuances et de précision extrême dans sa composition.

Avec son savoir-faire unique et rare, Pleyel est à la haute facture instrumentale ce qu’est Rolls-Royce à l’automobile.

J’ai une pensée pour son personnel, 14 passionnés et ouvriers d’art, derniers garants de ce savoir-faire, qui, si rien ni personne ne vient à leur secours, vont donc perdre leur emploi. En 2008, la société Pleyel avait pourtant obtenu le label « Entreprise du Patrimoine Vivant » (EPV), attribué par l’Etat afin de distinguer des entreprises françaises aux savoir-faire artisanaux et industriels d’excellence.

Cette même année qui a consacrée « Voie lactée », le piano conçu par Andrée Putman, designer mythique, après que Pleyel lui ait demandé de dessiner le piano du 21ème siècle. Un instrument cristallisé en un objet de luxe unique, transformé en une boite à musique grandeur nature, sublimé dans des proportions inédites.

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Alors, j’ose encore espérer que l’Etat, peut-être par l’intermédiaire d’Arnaud Montebourg, Ministre du redressement productif et fervent défenseur du « made in France », grâce à son plan de résistance économique présenté tout dernièrement, ne laissera pas mourir un tel savoir-faire. Quant à moi, je revois le Pleyel demi queue art déco de la maison de campagne de mes grands-parents dans le bourbonnais et ses touches d’ivoire véritable, jaunies par le temps. Je repense à ces piles de vielles partitions notamment celles des chansons de Piaf qui s’entassaient sur le piano et aux énormes bouquets de pivoines colorées que ma grand-mère disposait sur celui-ci, habitant ainsi un salon à la décoration surannée. Un piano désormais à l’abandon. Des histoires de famille… Laissé pour compte, un peu comme Pleyel aujourd’hui.

Pour écouter le son Pleyel, rendez-vous ici.