Cuba mon amour.

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1998, souvenirs.
Assis, chacun dans un fauteuil d’avion d’un vol charter, nous voilà (« l’homme » et moi) gazés par les vapeurs d’aérosols dégoupillés par les autorités aériennes pour chasser tout insecte ou germe potentiels que nous pourrions avoir trimballés avec nous de Paris. Une « chance » que n’ont pas les américains depuis très longtemps ou tout au moins désormais au compte-goutte. Depuis février 1962, les cubains subissent toujours « el bloqueo » qui signifie « le blocus ». Cet embargo a été mis en place à la suite de nationalisations expropriant des compagnies américaines. Economique, commercial et financier, il est le plus long embargo que l’époque contemporaine et tout un peuple aient connus.
Dehors, sur le tarmac, la chaleur humide s’abat sur nous et nous voilà aux Caraïbes, 7795 km et dix heures de vol plus tard, dans un pays communiste chargé d’histoire, mais que je vais adorer et qui va me marquer plus que n’importe quel autre : Cuba.

Pour presque la totalité des touristes, la destination c’est Varadero. Cette péninsule d’un peu plus d’un kilomètre de large, à 141 kilomètres à l’est de La Havane, à l’extrémité orientale de l’autoroute Via Blanca.

Cuba, à cette époque, (j’espère que c’est moins vrai aujourd’hui) c’est, paradoxalement à son régime, le « all inclusive » de Varadero sur ses 20 kilomètres de plage de sable blanc, bref du « manger et du boire à volonté » au milieu d’employés cubains pourtant plus que rationnés, fouillés au départ de leur lieu de travail, et acheminés dans les hôtels de luxe par autocars interdits aux touristes qui, de toute façon, dans leur grande majorité, viennent chercher du soleil, des mojitos et la fête sans se soucier du reste.
Pour moi, Cuba, ça a été la rencontre d’un peuple à la personnalité extraordinaire et au destin hors du commun. Par exemple, ce musicien à la peau noire et aux yeux couleur émeraude qui a si bien appris le français grâce à une cassette audio de Francis Cabrel offerte par un touriste. Médecin anesthésiste, il gagnait plus d’argent en chantant qu’en exerçant son métier.
Cuba, c’est aussi les interminables discours à la télévision de Fidel Castro pour que le petit « Elian Gonzales » qui s’était enfuit avec sa mère et dix autres personnes vers les Etats-Unis en 1999, « se vuelve a la patria » (revienne à la patrie). Pour la petite histoire, seuls trois rescapés dont Elian, survécurent (pas sa mère). Dérivant sur une chambre à air jusqu’aux côtes de Floride, il fut sauvé mais en 2000, après une énorme polémique et tous les recours possibles, il fut raccompagné à Cuba chez son père.
Pour moi, l’expérience cubaine ça a été de se cacher dans ce fameux autobus réservé aux employés cubains et enfin, sortir de Varadero pour y découvrir le vrai Cuba : Cardenas et le rhum blanc des locaux, ultra fort, puis la Havane, son bord de mer avec le Malecon, son église et ses Saints dont Santa Barbara et sa « Bodeguita del Medio » lieu encore habité par Pablo Neruda, Gabriel Garcia Marquez et Ernest Hemingway.
Cuba, c’est aussi les terres rouges indigo de Trinidad et les vestiges d’un luxe époustouflant sans compter les vielles américaines qui nous donnent l’impression d’être encore dans les années 50 et qui viennent se glisser entre les Lada russes aux feux rouges. Mais plus que tout, l’atout majeur de l’île, c’est son peuple : les Cubains et leur chaleur incroyable, leur courage, quand en confiance, ils abordent la question du régime en parlant « du barbu » qu’ils ne nomment jamais et toujours, ce sens inné et magique de la salsa et des corps en mouvement.
Aujourd’hui, 15 ans plus tard, les cubains vivent encore dans la pénurie. Ce peuple qui à lui seul, a imaginé et mis en place un « marché gris » fait de troc, de débrouille et d’ingéniosité pour régler tous les problème du quotidien et où il lui faut jongler avec le peso cubain interdit aux touristes, le peso convertible et le fameux billet vert : le dollar, légalisé dans l’île depuis le 26 juillet 1996.
Même « la Libreta » (le carnet de rationnement) qui assurait en théorie à chaque cubain au moins de pouvoir se nourrir est de plus en plus limité. Raul Castro, qui a succédé à son frère Fidel en 2006, s’est d’ailleurs fixé « l’élimination ordonnée et progressive du carnet d’approvisionnement dans son modèle actuel. »
Un cubain qui gagne en moyenne 20 dollars par mois est donc contraint à consacrer 90% de son budget pour se nourrir et doit se débrouiller entre le marché noir, le marché agricole public et les boutiques en pesos convertibles.

Lundi, 14 janvier 2013, avant-hier, le saviez-vous, le peuple cubain a enfin obtenu un droit jusqu’alors inimaginable et attendu depuis plus de cinquante ans qui légitime ce billet: celui enfin de pouvoir sortir de l’ile officiellement pour voyager.
C’est donc la réforme sur la loi migratoire annoncée en octobre dernier, et mise en place par Raul Castro -qui a déjà introduit un certain nombre de mesures donnant plus de place au secteur privé- qui est entrée en vigueur. Une avancée à nuancer tout de même, eu égard au prix du passeport (100 dollars) et des restrictions de sortie qui continueront à concerner les sportifs de haut niveau -une des fierté de la révolution cubaine- et certains dirigeants et professionnels « essentiels » à la patrie cubaine.
Nul doute qu’à Miami, dans le quartier de Little Havana, si près (144 km des cotes cubaines) et pourtant si loin jusqu’alors, tout un peuple est en émoi et célèbre cet évènement comme il se doit. Au Maximo Gomez Park, 801 SW 15th Avenue, Miami FL, les parties de dominos doivent sans aucun doute y être encore plus animées qu’à l’accoutumée.

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